Le mercredi 25 février 1852, à l’aube, un bourreau mène Hélène Jégado à l’échafaud. Que s’est-il passé pour que cette cuisinière dont on a tant chanté les louanges, de maisons bourgeoises en presbytères, soit exécutée face à une foule vindicative et haineuse réclamant sa mort ?
Hélène Jégado nait en 1803, en plein coeur des ces terres bretonnes habitées par des mythes ancestraux. Si la pauvreté étrangle le quotidien de la famille, le foyer est aimant et la jeune fille choyée. Dès sa plus tendre enfance, elle est bercée aux légendes de fées et de korrigans, de géants et de menhirs, d’orages et de groac’h. Mais de toutes, c’est l’histoire de l’Ankou, serviteur de la Mort, qui l’ébranle le plus au point qu’elle finira par l’incarner.
Alor que l’enfant n’a pas sept ans, elle perd sa mère. Son père, qui ne peut en assumer la charge, la place dans un presbytère en tant qu’apprentie cuisinière.

Ses tourtes et ragoûts lui vaudront les félicitations de ses employeurs durant près de vingt ans. Mais si la jeune femme est douée aux fourneaux, elle semble l’être tout autant pour le levé de coude. Son penchant pour la bouteille et ses ébriétés répétées lui coûtent sa place en 1833. Dès lors, les malheurs commencent…
Débrouillarde, elle trouve rapidement une place chez Monsieur le Curé Le Drogo, recteur de Guern. La mort s’est engouffrée dans la maison en même temps que la cuisinière. En moins de trois mois, sept personnes perdent la vie après une terrible agonie. Parmi elles, Anna Jégodo, sa soeur, le père et la mère du recteur et Monsieur le Drogo lui-même. Hélène s’est démarquée par sa dévotion, restant au chevet des malades et priant pour eux de jour comme de nuit. Les médecins pensent à une épidémie et soupçonnent même le choléra qui avait ravagé la région quelques années plus tôt.
Hélène se rend alors à Bubry pour reprendre le poste de sa soeur qui officiait dans un presbytère. Là aussi, c’est l’hécatombe. Les morts se succèdent dans de mystérieuses circonstances. À chaque fois, la cuisinière semble désolée par le malheur qui frappe ses employeurs. Mais son innocence est feinte. Celle qui avait si peur de l’archange de la mort a décidé de prendre sa place, tuant sans regrets ni raisons, afin d’être elle-même épargnée. La cuisinière assaisonne sa soupe aux herbes et ses pâtisseries à l’angélique de quelques nuages d’arsenic. Après avoir accompli sa funeste mission, l’employée rend son tablier et s’en va vers d’autres maisons, n’oubliant jamais d’emporter avec elle une relique de chaque victime.
Pendant près de quinze ans, de Séglien à Locminé en passant par Pontivy ou Auray, la Jégado parcourt la Bretagne répandant la mort partout sur son passage : enfants, servantes, notables, clients d’un bordel où elle se prostitue, la soif morbide de la jeune femme ne tarit jamais.
Comme pour tenter le sort et narguer le destin, Hélène Jégado choisit d’exercer ses talents de cuisinière criminelle chez Me Théophile Bidart de la Noë, avocat et expert en criminologie. Alerté par les décès qui s’enchainent sous son toit, ce dernier décide de procéder à une autopsie qui révélera la trace de mort aux rats dans le corps des victimes. La cuisinière qui se rêvait ange de la mort est arrêtée le 2 juillet 1851. Elle n’est jugée que pour trois meurtres et trois tentatives alors qu’on lui en prête au minimum trente-sept. Elle nie tout en bloc mais est condamnée à mort le 14 décembre 1851. Elle est exécutée le 25 février 1852, alors âgée de quarante-huit ans. Dès le lendemain, la presse publie sa lettre de confession :
« Sur le point de paraître devant Dieu et voulant expier mes fautes, je déclare me reconnaître coupable des empoisonnements relatés dans mon acte d’accusation. »

Dans ses derniers mots, la meurtrière avoue même que ses crimes étaient bien plus nombreux que ceux dont on l’a soupçonnée… Ainsi s’achève le funeste parcourt de celle qui est encore aujourd’hui la plus grande tueuse en série de France.
«Partout où je vais, la mort me suit.»
Hélène Jégado