De Paul Bocuse, on connaît les yeux rieurs, l’assurance à toute épreuve et la verve taquine. Jean-François Mesplède, critique gastronomique qui fut un temps directeur du guide de Michelin, nous raconte un autre homme. Un Monsieur Paul à découvrir à travers le prisme d’une amitié profonde, empreinte de respect et d’affection.
« Mes rapports amicaux avec Paul Bocuse, c’est avant tout une première rencontre : il y a plus de trente ans, alors que je commençais ma carrière dans le journalisme gastronomique, le magazine Hôtellerie-Restauration m’a envoyé à Collonges interviewer le célèbre chef. J’étais intimidé par ce lieu gorgé d’histoire, puis je l’ai croisé, cet homme au regard perçant, à la stature imposante et au col bleu blanc rouge. Il ne me connaissait pas, mais m’a accueilli comme si j’étais un journaliste du New-York Times. Dès lors, j’ai su qu’un lien indéfectible s’était créé.
Années après années, au fil de notre amitié, j’ai découvert un homme bien loin de celui dépeint par la presse. Celui qu’on caricaturait à outrance, qu’on disait grande gueule et arrogant était en fait un timide au grand cœur qui faisait preuve de beaucoup de pudeur. Jamais, malgré la célébrité et les succès, il n’a oublié d’où il venait. Il est toujours resté Paulo des bords de Saône, dans le restaurant familial qui avait vu passer ses parents et ses grands-parents.
Chaque année, il organisait un repas pour les personnes âgées et les nécessiteux de Collonges-au-Mont-d’or. Jamais, il n’en a touché mot à la presse. Christian Bouvarel, qui était chef à l’Auberge, m’a raconté qu’un jour, Paul Bocuse a vu un clochard fouiller les poubelles du restaurant. Il a demandé à son chef d’aller le chercher, puis l’a installé dans la salle à manger du personnel et lui a servi à manger. Voilà qui était Paul Bocuse : quelqu’un de profondément généreux.
J’ai de beaux souvenirs d’amitié avec Paul Bocuse, parfois drôles, parfois émouvants… Un jour, je lui ai rendu visite accompagné de mon ami et imprimeur François Canard. Paul Bocuse, en chasseur confirmé, s’amusait à le renommer Colvert. Alors que nous étions en cuisine, il a demandé au chef d’aller lui chercher ce qu’il lui avait demandé. Ce dernier est revenu avec deux colverts et les a déposés devant François qui s’en est ému.
Une autre fois, nous allions ensemble à New-York, accompagnés par d’autres chefs, invités par Daniel Boulud. J’étais le seul journaliste, installé en classe affaires et les chefs étaient en première classe. Un homme s’approche de moi, pose un verre de champagne sur ma tablette et dit “Vous ne devez pas en avoir ici”, puis s’en va. Ma voisine me regarde et me demande interdite “Ce n’était quand même pas Paul Bocuse ? ». Je me souviendrai toujours de son expression lorsque je le lui ai confirmé !

C’est à lui que je dois mes années au guide Michelin. En 2005, alors que je tenais la rubrique gastronomique du progrès, j’ai été remercié. Quelques temps plus tard, je reçois un appel d’Edouard Michelin qui m’annonce qu’il souhaiterait me voir directeur du Guide. Lorsque j’ai revu Paul, je lui ai annoncé la bonne nouvelle. Il avait un sourire malicieux et l’air de celui qui savait déjà. Aujourd’hui encore, je reste persuadé qu’il en a soufflé quelques mots à Edouard Michelin.
Le 10 juillet 2008, j’ai célébré mes soixante ans à l’Auberge, dans le salon Fernand Point. J’avais invité tous les hommes de ma vie. Avant le repas, Paul m’a offert une veste à mon nom, avec les trois étoiles, l’inscription « Restaurant Paul Bocuse » et le col bleu blanc rouge. Nous étions aussi émus l’un que l’autre. À cette occasion, il m’avait écrit « pour Jean-François, rendez-vous aux soixante-dix en 2018, si Dieu nous prête vie. ». Il est mort en janvier, je les ai fêtés en juillet. Ça m’a bouleversé.
Le 20 janvier, Grégory Cuilleron m’appelle et m’apprend que les réseaux sociaux annoncent la mort de Paul Bocuse. Je suis resté sans voix. Je ne voulais pas y croire. J’ai appelé l’Auberge. Quelqu’un au bout du fil m’a simplement répondu « Oui, c’est vrai » et a raccroché.
Quelques jours plus tard, Paul avait été embaumé et reposait à l’Abbaye. J’y suis allé et suis resté seul avec lui. Les dernières images que j’avais de lui étaient marquées par la souffrance. Je voulais le voir, une dernière fois, apaisé.
Je m’étais promis de ne plus écrire de livre; étant éditeur indépendant, c’est toujours très compliqué de les distribuer et les vendre. Mais à sa mort, il m’a semblé évident de lui rendre un dernier hommage. Ce dernier livre, Monsieur Paul, est un livre du coeur qui raconte l’homme tel que je l’ai connu, tel que l’ont connu ceux qui l’ont côtoyé et aimé. En couverture, j’ai choisi une photo de lui que j’avais prise il y a quelques années. Il ne posait pas, ne portait pas la toque et son regard était empli de bienveillance. J’aurais aimé qu’il prenne le livre, le regarde, le pose puis me dise « C’est bien ».

Je me dis que là-haut, ils doivent se régaler. Il a retrouvé la Mère Brazier, Point, son copain Troisgros… Merci Paul. »
Si vous souhaitez en savoir plus sur le Paul Bocuse intime, découvrir les anecdotes de celles et ceux qui l’ont connu et des photos inédites et émouvantes, sachez que vous pouvez acheter le livre “Monsieur Paul” par Jean-François Mesplède ici.

Un commentaire Ajouter un commentaire