Lorsque Jacotte raconte Eugénie Brazier, sa grand-mère, ses yeux pétillent et son sourire témoigne de la tendresse, l’admiration et la douce nostalgie que lui évoquent ces souvenirs. À vous de découvrir cette grande femme qui s’est illustrée dans l’histoire de la gastronomie grâce à son talent, son courage et sa ténacité.
« Ma grand-mère, Eugénie Brazier, était une femme formidable. Elle avait du caractère, mais était volontaire. Elle recherchait et admirait ces qualités chez les gens qui travaillaient pour elle. Vous connaissez l’histoire du jeune Paul Bocuse qui, en 1946, grimpe le col de la Luère à vélo pour se présenter à ma grand-mère :
«Tu es venu en vélo mon petit ? Tu n’es pas fainéant. Je t’embauche ! ».
J’aime beaucoup cette anecdote. Elle montre que sous cette figure autoritaire, se cachait une grande générosité.

C’était une femme courageuse. Très jeune, elle s’est retrouvée fille-mère. Mise à la porte par son propre père, ma grand-mère a donné naissance à son fils, Gaston, chez une amie à elle, puis s’en est allée à Lyon pour y trouver un travail. Elle ne savait ni lire, ni écrire mais, étant jeune mère, elle avait du lait et pouvait proposer ses services en tant que nourrice. Elle s’est retrouvée chez les Milliat, une riche famille d’industriels. Une fois leur petit sevré, Mme Milliat, très satisfaite du travail de ma grand-mère l’a recommandée à la Mère Fillioux qui avait un restaurant rue Duquesnes. C’est là que débute la carrière d’Eugénie Brazier. C’est aussi là qu’elle rencontra Pierre, son amoureux, de trente ans son ainé.
Il était chauffeur de maître, passionné d’automobile et détenait le permis n°4 du Rhône. Il a transmis sa passion à ma grand-mère qui a elle-même obtenu son permis de conduire. Détail qui aura son importance pour la suite de cette histoire. Pierre était un homme instruit et cultivé. À l’inverse de celle qu’il aimait, il savait lire et écrire. Il vivait rue Royale et dit un jour à ma grand-mère « Eugénie, il y a un petit bistrot à louer au n°12 ». La suite, vous la connaissez. Sans Pierre, elle serait peut-être restée au service de familles toute sa vie. On dit souvent que derrière chaque grand homme, il y a une femme. Je pense que derrière cette grande dame que fut ma grand-mère, il y avait cet homme.

Un jour de 1939, alors ma grand-mère était dans son restaurant de la rue Royale, elle a vu débarquer une jeune femme au volant de sa voiture. Cette dernière vivait jusqu’alors au Lavandou et avait travaillé dans un restaurant après avoir fait une école hôtelière. À la déclaration de la guerre, elle a décidé de se rapprocher de sa mère, veuve et seule, qui vivait au Creusot.
Ma grand-mère, en allant à sa rencontre lui demande : « Alors mon petit, d’où êtes-vous ? Comment êtes-vous venue jusqu’ici ? »
À la jeune femme de répliquer sans malice :
« En voiture Madame !
Vous savez conduire ? Alors je vous embauche ! »
Pour ma grand-mère, une femme qui savait conduire était une femme indépendante et volontaire.
À cette époque, mon père était parti à la guerre. Il était Maréchal des Logis. Vous n’êtes pas sans savoir que nous l’avons perdue cette guerre. Mon père est donc rentré au restaurant et a rencontré cette femme dont ma grand-mère chantait tant les louanges. Heureusement, il est tombé fou amoureux de la nouvelle employée, ce qui a évité à ma grand-mère d’avoir à manigancer pour faire de cette jeune femme intelligente, ravissante et plantureuse sa belle-fille ! Vous l’aurez compris, cette jeune femme, c’est Carmen, ma mère.
Ma soeur et moi avons été follement aimées par nos parents et par notre grand-mère. Elle qui n’avait jamais vraiment été tendre avec ce fils qui lui rappelait tant ce qu’elle avait du quitter et sacrifier, a reporté son affection sur ses petites-filles.

Plus qu’un nom, Eugénie Brazier nous a légué une merveilleuse histoire.”
Merci à Jacotte Brazier, présidente de l’association des Amis d’Eugénie Brazier, d’avoir partagé sa si belle histoire familiale.
Merci à Jean-François Mesplède pour ses archives qui offrent un formidable voyage dans le temps.
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