Aïcha, c’est une infinie douceur, un sourire franc et des yeux qui pétillent. La chef d’origine tchadienne qualifie sa cuisine de généreuse et on comprend que c’est à son image. Elle affirme que la cuisine est un langage universel, un moyen de partager et découvrir. Elle aimerait ouvrir un jour son propre restaurant pour proposer de savoureux voyages au cœur du Sahel et du Sahara. Elle, c’est l’odeur du cumin qui la transporte.
“La cuisine est un langage universel”
« Je m’appelle Aïcha et j’ai créé Sahara Restaurant, mon entreprise traiteur il y a près de trois ans. On dit souvent, « dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es ». C’est pour cette raison que j’ai choisi de m’installer à Lyon. Ici, les gens ne connaissent pas la cuisine du Sahel et du Sahara. Je voulais faire découvrir ma culture à travers mes plats.
Avant de me lancer dans la cuisine, j’étais professeur d’Histoire. Ça peut paraître surprenant, pourtant, à mes yeux, c’est lié ! J’aime bien analyser les choses. La cuisine est une manière de comprendre la culture de l’autre. D’ailleurs, la première chose que j’ai demandé en arrivant à Lyon était : « Mais c’est quoi la cuisine lyonnaise ? ». Chaque plat raconte une histoire.
Par exemple, en Égypte le kochari, qui est un plat à base de pâtes, de riz, de lentilles et de sauce tomate, est appelé « le plat du roi et des pauvres ». À l’époque, les rois mangeaient de la viande, un synonyme de richesse. Les pauvres, eux, ne pouvaient se le permettre et mangeaient du kochari. Un jour, un roi demanda pourquoi les pauvres avaient l’air en aussi bonne santé alors qu’ils n’avaient pas les moyens de s’offrir de la viande. On lui fit découvrir le fameux plat. Il en tomba immédiatement amoureux et ne voulut plus manger autre chose ! C’est d’ailleurs à moi aussi mon plat préféré.
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J’ai beaucoup voyagé. Je suis d’origine tchadienne, j’ai vécu en Arabie Saoudite, j’ai fait mes études en Égypte, j’ai grandi avec les influences du Soudan. Ma culture et ma cuisine sont un mélange de tous ces pays du Sahel et du Sahara : les femmes du Sahel font une cuisine délicieuse avec très peu de choses. Là-bas, la viande est rare dans les repas. Dans les pays arabes du Golfe, au contraire, la viande est très présente. Je me suis inspirée de tout ça. Ma cuisine c’est un peu comme un voyage dans toutes ces cultures !
Pour moi, la cuisine est une manière de partager ce que l’on aime vraiment. Je suis incapable de manger seule un plat que j’aime. Alors quand je cuisine, je partage toujours avec ceux qui m’entourent : les voisins, des étudiants, la famille… C’est très important. Même si je reste dix ou vingt heures en cuisine, je ne suis jamais fatiguée car j’aime ce que je fais !

Je cuisine beaucoup avec du gingembre, de la cannelle, de la menthe, de l’ail… Chez nous, la cuisine sent avant même que l’on mange !
Lorsque je cuisine, je me mets toujours à la place de celui qui va goûter. Je veux qu’on sente les parties de moi à travers ma cuisine, le plaisir que j’ai eu à préparer. J’aime tellement ça que je fais tout moi-même, à la main, même ce qui peut se faire à l’aide de machines !
J’ai toujours aimé préparer à manger et partager de bons moments autour de repas généreux. Lorsque j’étais étudiante, en cité universitaire, je passais mon temps à cuisiner pour moi et pour les autres. Même si j’avais un examen le lendemain !
J’ai grandi aux côtés de ma grand-mère qui cuisinait beaucoup. Sa cuisine était très proche de la cuisine du Sahara (Lybie, Soudan, Tchad). Lorsque nous sommes arrivées en Arabie Saoudite, elle restait beaucoup avec les femmes et a appris leur cuisine. Toute petite, lorsque je rentrais de l’école, elle me disait tout le temps de venir voir ce qu’elle faisait. Elle me montrait les gestes et les recettes des plats qu’elle aimait. Elle m’apprenait le mandi, l’assida, les beignets, les samboussas, et moi, je répétais ses gestes. Avec elle, la préparation était tout aussi importante que le repas. J’ai gardé ça d’elle.

Je me souviens, quand j’étais petite, alors que nous venions de rentrer au Tchad, ma grand-mère avait invité toute la famille pour un repas. J’avais très envie de cuisiner et ma grand-mère m’a laissée faire. J’ai préparé une grande table avec plein de bonnes choses. L’un de me oncle avait dit à ma grand-mère « ah donc toi tu prépares le repas et tu essaies de faire croire que c’est ta petite-fille qui a tout fait ? ». Ma grand-mère lui avait rétorqué qu’elle n’avait même pas mis un pied dans la cuisine et qu’elle n’avait touché à rien. J’avais tout fait toute seule. Depuis ce jour-là, même si je ne me destinais pas à la cuisine, cet oncle m’appelait Madame la Chef.
Il n’y a pas longtemps, j’ai fait un buffet pour la mairie de Lyon et Gérard Collomb. Cet oncle a vu les photos et m’a dit : « Tu vois, j’avais raison de t’appeler Madame la Chef ». Ça m’a fait rire, mais il n’avait pas tort !
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Le Refugee Food Festival est très important car il permet de se faire connaître. C’est comme une main tendue aux étrangers, pour les accompagner et leur ouvrir les portes.
La cuisine est un langage universel. Cuisiner, ce n’est pas une histoire d’origine, de langue ou de couleur de peau. Tout le monde peut le faire. Il y a des organismes qui peuvent aider, comme le Refugee Food Festival ou Singa. Il faut être curieux, regarder ce qui se fait autour, ne pas avoir peur.
Si on veut réussir, on peut réussir. Je suis sûre qu’il y a beaucoup de femmes qui cuisinent mieux que moi mais qui n’osent pas se lancer. Si j’avais un conseil à donner, ce serait « allez-y, osez ! ».
REFUGEE FOOD FESTIVAL
Retrouvez Aïcha le 18 juin au restaurant les Muses de l’Opéra de Lyon pour découvrir sa cuisine au goût de Sahara.
Aïcha proposera aussi ses sambossas lors de la clôture du Refugee Food Festival le dimanche 23 juin.
Aïcha Mahamet Seid
Retrouvez la cuisine de Aïcha sur Facebook et Instagram
Photos aimablement transmises par Aïcha Mahamet Seid
Crédit couverture : Mathilde Viana