Rania Albitar Hadad – Refugee Food Festival

« En peu de temps parfois on fait bien du chemin. » Ce n’est pas de moi, c’est Molière qui l’a écrit. Et Rania le prouve. Quelques temps après avoir quitté sa Syrie natale, elle a lancé son service traiteur pour faire découvrir, à travers ses spécialités culinaires, l’histoire riche mais méconnue de son pays. Vous vous demandez ce que Molière vient faire là ? Plus jeune, Rania a choisi d’étudier la littérature française. Et devinez quoi ? C’est la plume du plus célèbre des dramaturges français qui l’a séduite.

“Nous, réfugiés, avons une culture, des racines, une histoire”

« Je m’appelle Rania, je suis syrienne et suis venue en France avec ma famille il y a presque cinq ans. Nous avons passé un an dans le nord de la France, le temps des formalités puis sommes venus nous installer à Lyon.

Rania lors du Refugee Food Festival
Crédits : Mathilde Viana

En Syrie, je travaillais depuis une dizaine d’années chez Cargolux Airlines, et avant ça, j’étais dans une agence de voyage. Je ne sais pas pourquoi, mais les aéroports m’ont toujours beaucoup intéressée. Pourtant, mes études ne m’y prédestinaient pas : après avoir obtenu mon bac, j’ai hésité un moment entre la pharmacie et la littérature française. Mon amour pour Molière, ses personnages et sa plume ont fait pencher la balance.

Lorsque je suis arrivée en France, j’ai voulu travailler à l’aéroport de Saint-Exupéry. Je me suis adressée à Pôle Emploi afin de faire un petit stage de formation. Mais il m’a été refusé, selon eux, j’avais déjà bien trop d’expérience.

J’ai eu l’opportunité de travailler à l’aéroport de Bron, mais c’était assez compliqué à l’époque : nous venions d’arriver en France, après avoir vécu dans un pays en guerre durant quatre ans. Mes enfants n’avaient que six et huit ans, et pourtant, ils avaient déjà subi des choses très difficiles. Ils n’avaient pas encore de repères ici en France et je ne pouvais pas les laisser si tôt. Il y avait encore trop de mauvais souvenirs. Alors j’ai refusé le poste.

Mon mari était sertisseur de diamant en Syrie. Arrivé en France, il a passé un CAP afin de pouvoir exercer. Pendant ce temps-là, je m’occupais de mes enfants et en gardais d’autres. J’ai fait ça durant deux ans. Cette expérience fut bénéfique pour moi. Cela me permettait de prendre mes marques dans un pays que je ne connaissais pas encore. Dans le même temps, je me suis mise à cuisiner. En Syrie, je cuisinais peu. Ma maman s’occupait des enfants et m’aidait à préparer les repas. Mais elle est venue en France quelques années avant moi. J’ai dû m’adapter et me suis dit que moi aussi, j’étais capable de cuisiner de bons plats. Alors j’ai commencé, petit à petit, et j’ai beaucoup aimé. Mais à l’époque, j’avais mon travail, mon mari aussi et je n’avais pas besoin d’une autre activité professionnelle.

Une fois en France, j’ai invité quelques personnes à venir déguster mes plats. J’avais de bons retours et le bouche à oreille a fait son effet : j’avais quelques commandes. Mon mari et mon entourage m’ont beaucoup encouragée.

Rania lors du Refugee Food Festival
Crédits : Mathilde Viana

J’ai beaucoup cuisiné pour les gens de ma paroisse. Ils ne connaissaient que très peu la cuisine orientale. Certains avaient déjà goûté la cuisine libanaise, mais aucun n’avait eu l’occasion de tester la cuisine syrienne. Elles se ressemblent beaucoup mais sont aussi assez différentes. Nous n’utilisons pas les mêmes épices. La cuisine libanaise est plus connue ici car leur vague d’immigration est antérieure à la nôtre.

Entrepreneurs du monde m’a aidé à réaliser mon projet de traiteur. Grâce à eux et à la Fondation Paul Bocuse, j’ai pu suivre des formations pour en apprendre davantage sur les règles d’hygiène, les normes à connaître… À la même époque, j’ai fait la connaissance d’un chef lyonnais à la tête d’un service traiteur. Il fut aimable et accueillant. Nous avons échangé et visité son laboratoire. À l’issue de la rencontre, je lui montré quelques photos de mes réalisations et fait déguster mes spécialités. J’avais préparé des triangles aux épinards et aux noix, des boulettes de viande, des chaussons… Il a tout de suite été très intéressé et m’a proposé une collaboration.

Rania lors du Refugee Food Festival
Crédits : Mathilde Viana

Aujourd’hui, je n’ai plus aucune envie de travailler dans un aéroport. Je veux me consacrer à la cuisine. Je pense que c’est une chance de vivre à Lyon et d’aimer cuisiner. En Syrie, le rapport à la gastronomie est différent. Les gens ne prennent pas le temps d’aller au restaurant pour déjeuner. Alors que pour les français, et en particulier les lyonnais, c’est un plaisir incontournable.

Lorsque je cuisine, j’ai beaucoup de souvenirs de Syrie qui reviennent. Je repense aux épices ou aux légumes qu’on ne trouve que là-bas. Ma fille aime beaucoup m’aider à cuisiner. Elle me demande souvent ce qu’elle peut faire, comment elle peut le faire. J’aime beaucoup ces moments.

La cuisine est un formidable moyen de transmettre une culture, une histoire. Elle peut permettre de changer le regard qu’ont les gens sur les réfugiés. Nous, réfugiés, avons une culture, des racines, une histoire. La Syrie a une histoire très riche qui s’étend sur des millénaires. Nous en sommes fiers. Je cuisine pour transmettre l’histoire de mon pays à travers ses spécialités.

Rania lors du Refugee Food Festival
Crédits : Mathilde Viana

J’ai de nombreux projets. Le premier serait d’apprendre la cuisine d’Alep. Étant originaire de Damas, je ne connais que très peu leurs spécialités. Il y en a une que j’ai particulièrement envie d’apprendre : des boulettes de kebab accompagnées d’une sauce à base de cerises spéciales. Elles sont douces et amères à la fois. J’ai besoin de connaître cette recette ! Je veux aussi passer mon permis !

Mon plus grand projet est surtout le développement de mon activité de traiteur. Mais plus que tout, je veux le bonheur pour ma famille. »

Banquet par Rania
Crédits : Rania Albitar

REFUGEE FOOD FESTIVAL
Rania cuisine chez Anahera  le 20  juin pour faire découvrir ses spécialités syriennes

Rania Albitar Hadad
Découvrez la cuisine syrienne à travers les spécialités de Rania – Service traiteur

Crédit photo couverture : Mathilde Viana

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