Boris Tavernier – Du vrac et des histoires

Boris Tavernier est à l’origine de l’association VRAC. On m’en avait parlé ici et là, mais avant de le rencontrer, je ne pouvais imaginer la richesse des histoires qu’il garde en mémoire. Il a d’ailleurs contribué à en raconter certaines dans le magnifique ouvrage Femmes d’ici, cuisine d’ailleurs, écrit avec le prix Goncourt Alexis Jenni. Ce sont les tranches de vie de ces femmes qu’il a choisi de nous partager.

« Tu peux partager ton plat et ton histoire, la cuisine est un langage universel »

« Ce sont les rencontres qui m’animent le plus dans l’aventure VRAC, là où elles nous emmènent. Il y a cinq ou six ans, j’ai entendu les habitants discuter entre eux, parler cuisine, comparer leurs recettes, débattre pour savoir si la cuisine tunisienne était meilleure que la cuisine marocaine. Je me suis dit « OK, on va faire un concours ! ». Nous avons invité Grégory Cuilleron, Alain Alexanian.

Les concours organisés par l'assiociation VRAC

Les participants devaient réaliser un plat salé et un plat sucré. Et durant toute cette journée, je vois le sourire sur le visage des femmes. C’était dingue de voir tout ce que ça pouvait générer de cuisiner, de partager un plat. Alors, j’ai eu envie de plus.

De retour dans mon hangar à Vaulx-en-Velin, à attendre une commande farine qui n’est jamais arrivée, je me demandais comment aller plus loin. Comment ancrer ces moments éphémères. 

J’ai pensé à un livre de cuisine, mais en même temps, des livres de cuisine, il en existe déjà des millions. Je connaissais ces femmes, je savais qu’elles ont beaucoup à dire, mais qu’on ne les entend pas. Elles n’ont jamais eu de tribune pour raconter leur histoire. Et pour raconter des histoires, quoi de mieux qu’un écrivain. J’appelle Alexis Jenni, Goncourt 2011, Emmanuel Prost, illustrateur et nous voilà, petite équipe à nous inviter chez des femmes pour raconter leurs histoires à travers leurs repas.

Nous nous sommes retrouvés à la table de Ladda, qui a fui le Cambodge en 76, à celle de Sandes, irakienne ou encore celle de Nansy égyptienne qui vivait à Khartoum.

On a découvert leurs histoires et leurs recettes. Nansy, par exemple, était ingénieure en bâtiment et son mari chirurgien-dentiste en Égypte. Ils ont vu leur fils se faire kidnapper, ont réussi à le retrouver et ont fui leur pays. Ils se sont cachés dans une Église, puis dans la cale d’un bateau, sans savoir où ils allaient. Ils finissent par débarquer et croisent la route d’un algérien qui les informe qu’ils sont à Marseille. Ils sont arrivés à Vaulx-en-Velin il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, Nansy, qui était ingénieure, est sans-emploi et son mari, qui était chirurgien-dentiste, prépare les commandes chez Carrefour. Ils ont tout perdu. Nansy se bat pour que les réfugiés qui arrivent en France ne perdent pas tout.
Ces gens ont peu de moyens, mais vous accueillent à bras ouverts. Nansy nous avait préparé un véritable festin.

Nansy

Elle nous a présenté sa voisine, Sondes, irakienne, kurde et chrétienne. C’est la triple peine et son histoire est douloureuse. Sondes ne parlait pas français. C’est Nansy qui faisait la traduction.
Sondes vivait à Bagdad. Son père, militant kurde s’est fait assassiner devant sa porte. À 15 ans, elle a été mariée avec un cousin. Ils ont eu quatre enfants et trois sont handicapés. Lorsque sa ville est tombée aux mains de Daesh, c’était le carnage. Elle a vu son oncle se faire découper et brûler vif. La famille a fui, aidée par le Secours Catholique. Ils pensaient qu’ils allaient retrouver une forme de liberté. Depuis, elle habite à Vaulx-en-Velin, elle ne travaille pas, elle a trois enfants handicapés qui ne sont pas placés. Elle est au RSA, de nouveau enfermée, mais cette fois, dans un pays libre.
Lorsque nous venions pour recueillir les récits, nous tenions à rembourser l’achat des matières premières pour le repas et leur offrions un bon d’achat à l’asso VRAC. Malgré notre insistance, Sondes a tout refusé. Elle était honorée de nous recevoir. Elle nous avait préparé des dolmas (feuilles de vigne farcies) à couper le souffle. Le plat était plus gros qu’une roue de tracteur.

Sondes

Ces gens n’ont rien et pourtant, ils donnent tout. Ils ont des parcours semés d’embuches et pourtant, ils racontent leurs histoires sans jamais cesser de sourire.

Ladda, quant à elle, a fui les khmers rouges en 1976. Elle s’est retrouvée dans la jungle avec son mari et ses trois enfants. Son mari se fait assassiner. Ladda arrive à rejoindre un camp de réfugiés en Thaïlande, avec ses enfants. Elle y retrouve ses parents et y rencontre son deuxième mari. Comme le pays d’accueil ne se choisit pas, sa mère et son père émigrent aux États-Unis. Ladda et son mari partent pour la France. Durant la guerre, Ladda avait perdu son frère. Ses parents se retrouvant sans enfants, Ladda leur a laissé son propre fils afin qu’ils retrouvent un enfant. Ladda a eu trois autres enfants avec son deuxième mari. Chez elle, trône un portrait de la famille avec les cinq enfants. Elle y a ajouté la photo d’un autre enfant, son fils qui vit aux États-Unis et qu’elle n’a vu qu’une fois en 1987.

Ladda

Cette aventure a permis, je pense, à certaines femmes de changer leur vision sur elle-même.

Zaineb par exemple, rencontrée il y a cinq ans chez VRAC, était un peu perdue. Elle ne savait pas si elle était française ou tunisienne. Pour la France elle était tunisienne et vice-versa. Pour le concours, elle a proposé un plat franco-tunisien : une tête de veau avec des épices tunisiennes accompagnée d’un riz de Djerba et là, elle a eu un vrai déclic. Elle a compris qu’elle pouvait être l’une sans renier l’autre. Depuis, elle intervient dans les collèges pour parler de diversité de culture.

Zaineb

Il y a aussi Sadia, venue de Kaboul à 15 ans et qui aujourd’hui, présente la cuisine afghane à de grands chefs.

Ce livre a été écrit et pensé pour rendre visibles leurs parcours et mettre en valeur ces femmes. Lorsque l’idée m’est venue, je ne pensais pas que ce livre nous ferait autant voyager. Gustativement, géographiquement, mais aussi humainement. Les quinze femmes présentées dans le livre ne se connaissaient pas et son devenues amies.

Notre objectif, avec ce livre, c’était aussi de changer l’image de l’immigration. De montrer que ces gens qui sont venus en France ont beaucoup à offrir, de changer le regard des gens sur ces personnes.

Si nous avions rencontré toutes ces femmes dans un bar, autour d’un café, nous n’aurions pas eu tout ça. La cuisine fédère. Elle fait parler. Tu peux partager ton plat et ton histoire. C’est un langage universel.

Toutes ces femmes ont proposé un plat qui leur ressemblait, un plat typique, qui leur tenait à cœur.

Les retranscriptions étaient parfois compliquées, car avec elles, on ne parle pas de grammage ou thermostat. Tout passe par l’oralité. Elles te disent que c’est simple, tu n’as qu’à mettre une mesure. Mais quelle mesure ? Eh bien, une mesure ! »

Des histoires comme celles-ci, Boris Tavernier, fondateur de l’association VRAC en a entendu au fil des années. Pour lui, l’histoire commence en 2003. À l’époque où José Bové part en croisade contre la malbouffe, Boris ouvre un bar resto salle de spectacle à Lyon, De l’autre côté du pont. En ces temps-là, il était déjà persuadé qu’il était possible de consommer mieux sans débourser plus. Il est alors parti à la rencontre des quartiers pour parler des habitudes de consommation. Il ne brandit pas l’étendard du bio, au contraire. Il veut convaincre par le goût. Il a organisé des dégustations au pied des immeubles pour faire connaître les bons produits et les rendre accessibles.

Les habitants

C’est là tout l’ADN de VRAC : permettre aux habitants des quartiers de consommer mieux, durable et responsable en revendant les produits à prix coûtant. Aujourd’hui, rien qu’à Lyon, l’association compte 13 groupements, plus de 1 200 familles adhérentes et vend près de 60 tonnes de produits bio chaque année.

Il y a cinq ans, Boris était seul dans les quartiers avec une balance et un couteau à fromage. Aujourd’hui VRAC est présent à Lyon, Paris, Bordeaux, Toulouse et Strasbourg. Son fondateur fait le tour des plateaux télé et radio pour plaider la cause de l’alimentation durable et lutter contre la précarité alimentaire, rallie des personnalités comme Manu Payet, Zebda ou Sophia Aram et se bat pour que son association ait toujours plus à offrir.

Mais ne pensez pas qu’il a déserté le terrain ! Dès qu’il le peut, il est auprès des habitants. Et ces derniers ne se cachent pas pour le lui rappeler.

« C’est comme la famille, mais quand tu y vas tu te fais engueuler. La mamie qui ne t’a pas vu depuis 6 mois réagit comme ta grand-mère. Elle t’engueule : ça ne va pas mon fils ? T’es tout maigre ! Viens manger à manger à la maison.
Les gens se soucient véritablement de toi, te demandent des nouvelles de ta famille, de tes enfants… »

Boris Tavernier

En plus de la vente, l’association a fait le choix de sensibiliser sans culpabiliser pour promouvoir le bien manger. Des concours, animations, échanges avec les populations locales sont organisés pour débrider la parole, guider et renforcer le lien qui les unit, entre eux, mais aussi avec les producteurs qui les nourrissent. Par exemple, un bus entier, rempli d’une cinquantaine d’enfants part à l’aventure dans une exploitation agricole pour découvrir son fonctionnement.

les enfants

Borris Tavernier a un message : il faut se réunir pour avancer.

« Il y a une prise de conscience collective sur les questions d’alimentation. Ce n’est pas à chacun de défendre sa paroisse. Associations, citoyens, entreprises, collectivités territoriales, nous devons aller dans le même sens pour faire bouger les choses. C’est tous ensemble que nous devons nous mobiliser ».

Vous avez envie de vous investir et participer à l’aventure VRAC ou vous souhaitez en apprendre davantage ? C’est ici : www.vrac-asso.org/contact
Demandez vite le livre Femmes d’ici, cuisine d’ailleurs auprès de l’association !

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Photos aimablement transmises par Boris Tavernier

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