Typhoid Mary Mallon – Les repas du trépas

Il y a quelque temps, on se penchait sur l’histoire d’Hélène Jégado qui avait endossé le rôle de faucheuse en plus de celui de cuisinière. Si cette première distillait la mort volontairement, une autre l’a longtemps semée en cuisine sans même le savoir. Retour sur l’histoire de Mary Mallon, qui passa 26 ans de sa vie à en quarantaine forcée à cause d’un dessert glacé à la pêche.  

Typhoïde Mary affiche
Crédit : Wikimédia commons

La cuisinière qui passa sa vie en quarantaine

En 1906, la fièvre typhoïde s’abat sur New-York. Elle s’introduit dans les foyers et emporte dans son sillon femmes et hommes, jeunes et anciens, pauvres et bourgeois. Forte fièvre, saignements, gonflements, diarrhées… les symptômes impressionnent et la maladie effraie. Les autorités sanitaires traquent la bactérie dans l’espoir de retrouver les foyers de contamination. Georges A. Soper, un médecin hygiéniste s’improvise fin limier et se lance sur les traces du patient zéro de la ville. Ses recherches le mènent tout d’abord à une crème glacée à la pêche. La particularité ? Certains ingrédients de ce délicieux dessert ne sont pas cuits. L’homme de sciences s’intéresse ensuite à celle qui la prépare, Mary Mallon

Mary Mallon naît en Irlande en 1869. Elle fuit la misère et part pour le nouveau monde en 1884. La jeune femme se fait embaucher comme cuisinière à New-York

En 1906, elle rejoint Oyster Bay, à Long Island, pour se mettre au service de Charles Henry Warren, un riche banquier new-yorkais. Peu de temps après l’arrivée de Mary, la plus jeune des filles Warren tombe gravement malade. Quelques jours plus tard, Mrs Warren, sa seconde fille et deux domestiques présentent à leur tour des symptômes. En moins de deux semaines, six des onze occupants de la demeure sont atteints. Le médecin dévoile son diagnostic : la typhoïde est entrée dans la maison, on ne sait comment. La maladie est souvent associée à la pauvreté et sévit habituellement dans les bas-fonds de la ville. Il ne faut pas ternir la réputation du lieu de villégiature des riches familles, le suspect doit être retrouvé. 

Le docteur Soper est dépêché sur les lieux. On analyse l’eau, puis le lait. On ne trouve rien. On soupçonne ensuite une vieille indienne qui vend des fruits de mer sur la plage.  Mais tout ça ne tient pas. Pourquoi diable les habitants de la maison Warren sont-ils les seuls concernés ? Pourquoi ne recense-t-on pas d’autres cas à Oyster Bay ? Le médecin se concentre alors sur celles et ceux qui évoluent auprès des Warren. Il questionne les membres de la famille et les domestiques : ont-ils reçu des visiteurs ? Pas que l’on sache. Le suspect est donc à l’intérieur. Y-a-t-il eu de grands changements dans le quotidien de la famille ? Soper apprend alors que les Warren ont changé de cuisinière trois semaines auparavant. Ce détail retient toute son attention. Plus troublant encore, cette même cuisinière a quitté son poste dès l’apparition des premiers symptômes.
Même Sir Arthur Conan Doyle n’aurait pas pensé à un dénouement d’une telle évidence. 

Dans un article publié en 1907 dans le journal de l’American Medical Association, le médecin écrit : 

« Il a été établi que la famille a changé de cuisinière le 4 août. C’était deux semaines avant que l’épidémie de fièvre typhoïde ne se déclare (…) Elle n’est restée que peu de temps dans la famille et elle est partie seulement trois semaines après le début de l’épidémie. La cuisinière a été décrite comme une femme irlandaise d’environ 40 ans, grande, lourde, célibataire. Elle semblait en parfaite santé. »

Le docteur détective part alors sur les traces de la mystérieuse cuisinière. Il se rapproche de l’agence de placement et apprend que partout où Mary est passée, les trépas se sont succédé. La suspecte a même été reconnue pour son dévouement auprès des victimes. 

« D’agence en agence, j’ai rassemblé tous les fragments de son histoire sur une dizaine d’années. Que croyez-vous que j’aie trouvé ? Des cas de typhoïde ont été recensés dans toutes les maisons par lesquelles elle est passée. Détail troublant, aucune n’y faisait exception. Une question me taraude : où est-elle ? »

Le Sherlock improvisé apprend qu’en 1904, Mary a travaillé chez les Gisley où quatre des sept servantes ont été contaminées. Il remonte plus loin encore, en 1902, lorsque la cuisinière officiait chez J. Coleman Dayton. Là-bas, sept des neuf habitants de la maison ont contracté la maladie. En 1901 déjà, un cas avait été reporté là où Mallon avait travaillé. Mais où est la mystérieuse faucheuse ? 

En 1907, une riche famille de Park Avenue est à son tour frappée par le malheur. Soper voit enfin une occasion de mettre la main sur sa suspecte numéro 1. Il se rue dans la prestigieuse demeure et informe la cuisinière qu’elle est la cause de tous ces maux typhoïdiques. Il lui demande de lui remettre sur le champ des échantillons de salive, de selle et de sang. Outrée (et il y a de quoi), Mary Mallon le menace avec une fourchette et le somme de quitter sa cuisine. Des années plus tard, le docteur admettra avoir été un peu rude et reconnaîtra que demander à une inconnue de partager ses humeurs pouvait être assez mal perçu. 

Le docteur doté d’une clairvoyance rare écrira :

“Mary n’a apparemment pas compris que je cherchais à l’aider.”

Excité par le mystère, entêté et sûr d’avoir enfin mis la main sur la clé de son enquête, le docteur retourne voir la cuisinière et tente de lui expliquer qu’elle est porteuse de la typhoïde et que c’est elle qui la transmet aux victimes. Mary nie. Elle est forte et en parfaite santé. Elle ne comprend pas pourquoi elle est ainsi accusée. Soper prend alors conscience qu’il est face à l’une des plus grandes découvertes de la médecine moderne : Mary est « porteuse saine ».

Mallon ne souhaitant pas collaborer, le docteur se tourne impuissant vers les autorités sanitaires. Ces dernières dépêchent la docteure S. Josephine Baker (qui n’étaient évidemment pas danseuse à ses heures perdues). Mary ressort sa fameuse fourchette et menace la nouvelle-venue.

Le lendemain, Mary Mallon est sortie de force de son domicile, escortée par trois policiers. Si la cuisinière refuse les prélèvements, alors ils seront réalisés contre son gré. Elle éructe, menace et se débat. Le verdict tombe. Soper avait raison, les échantillons de Mary sont positifs. Au fil des mois, on la teste sans répit. Tous les tests, sans aucune exception, reviennent positifs. 

Mary Mallon quarantaine
Crédit : Wikimédia commons

Mary est effrayée. Durant près de huit mois, des blouses blanches se relaient pour la piquer, la tester, la questionner. Elle ne comprend pas, elle nie, elle lutte. On lui propose de retirer sa vésicule, on tente de lui expliquer qu’il suffit de se laver les mains pour éviter la transmission, mais la malade refuse d’admettre son état. 

Plutôt que de remettre en cause la pédagogie du corps médical, on préfère la considérer comme dangereuse. Alors, on l’enferme. Marie crie, mais on ne l’entend plus. 

La cuisinière irlandaise est transférée sur l’île de North Borther Island et placée en quarantaine. Elle ne comprend pas son isolement forcé et pense être emprisonnée sans même être passée par la case procès. La presse se saisit de l’affaire et rebaptise la pauvre cuisinière. Mary Mallon sera désormais et pour toujours « Typhoid Mary » (Mary la Typhoïde). Elle est humiliée, incomprise, délaissée. 

Mary mallon presse
Crédit : Wikimédia commons

Après trois longues années de quarantaine, Mary retrouve sa liberté en échange de quoi elle promet de ne jamais remettre un pied dans une cuisine. Elle tente d’échapper à son sort et se fait appeler Mary Brown

Comme l’histoire aime se répéter, de nouveaux cas de typhoïde font leur apparition quelques mois après sa sortie de quarantaine. Le Sloane Hospital, qui accueille des femmes malades, recense une vingtaine de cas. Le désormais célèbre docteur Soper est à nouveau dépêché sur les lieux. Il se rend dans les cuisines de l’établissement avec un goût de déjà-vu. Sans surprise, il se retrouve face à Mary Mallon. La cuisinière ne peut plus fuir. Résignée, elle se laisse emmener sur l’île qui l’a déjà accueillie. Elle passera le reste de sa vie en quarantaine et mourra isolée de tous en 1938. 

Mary Mallon North Bay
Crédit : Science History Image

Soper lui attribuera 53 victimes tout en admettant la possibilité de nombreux autres cas. 

Le sort de la cuisinière aurait-il pu être différent si les autorités et le corps médical avaient tenté d’expliquer avant d’accuser ? Élémentaire mon cher Soper.

En attendant, pourquoi ne pas tenter de réaliser le dessert à l’origine de toute cette histoire ?

Crème glacée à la pêche, miel, thym et romarin

C’est une crème glacée à la pêche qui a mis le docteur Soper sur les traces de Mary Mallon. Tentez à votre tour de le réaliser (avec des mains propres, bien entendu). 

Vous pouvez réaliser cette recette avec tous vos fruits et herbes de saison préférés. 

Pour 2 personnes
Temps de préparation : 30 minutes

Ingrédients 

  • 4 pêches
  • 6 cl de miel
  • 25 cl de lait
  • Une pincée de thym et de romarin
  • 3 jaunes d’œufs 
  • 90 g de sucre
  • 25 cl de crème fraîche

Préparation

  • Coupez les pêches.
  • Portez-les à ébullition avec le miel durant 10 minutes. Couvrez et n’oubliez pas de remuer de temps en temps. 
  • Retirez les pêches du feu, attendez quelques instants qu’elles refroidissent et mixez-les.
  • Dans une casserole, faites chauffer la crème, le lait et les herbes. Éteignez le feu lorsque le mélange est à ébullition. 
  • Laissez le tout infuser puis filtrez pour retirer le thym et le romarin.
  • Dans un autre récipient, battez le sucre et les jaunes. 
  • Ajoutez la crème.
  • Faites cuire jusqu’à ce que la crème forme une nappe sur la cuillère.
  • Ajoutez les pêches.
  • Placez le mélange au congélateur et mixez le tout toutes les 30 minutes jusqu’à ce que le mélange durcisse.

Vous avez aimé l’histoire de Mary Mallon ? Découvrez toutes les autres histoires qui ont fait l’Histoire de la gastronomie. N’oubliez pas de vous abonner sur Facebook, Linkedin et Instagram

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.