Conrad Gallagher – Le chef irlandais protégé par la mafia

Savoir cuisiner peut sauver des vies. C’est sans doute la leçon qu’aura retenue le chef irlandais Conrad Gallagher de son passage en prison. Découvrez une histoire digne des plus grands scénarios mafieux où l’on parle lames de rasoir, cosa nostra et piccata. 

Crédit : Leon Farrell / Photocall Ireland

« En prison, le dîner c’était toujours tout un truc »


« En prison, le dîner c’était toujours tout un truc. On avait les pâtes en entrée et ensuite, on avait viande ou poisson. Paulie s’occupait du travail de préparation. Il faisait un an pour outrage aux forces de l’ordre et il avait vraiment le coup de main pour l’ail. Il se servait d’un rasoir et il coupait l’ail tellement fin que ça fondait dans la poêle avec juste un filet d’huile. C’est une bonne recette ».

Vous voyez cette scène dans les Affranchis où la famille Lucchese se régale d’un festin italien dans sa cellule au son de Bobby Darin ? Le chef irlandais Conrad Gallagher peut se targuer d’avoir vécu la même. 

Conrad Gallagher a brillé au firmament de la gastronomie internationale et a connu les bas-fonds des prisons new-yorkaises. Son parcours est si rocambolesque que l’on pourrait le croire sorti tout droit de l’esprit d’un Scorsese ou d’un Coppola. Il n’en est rien : toutes ces vies, l’enfant terrible de la gastronomie irlandaise les a bien vécues. 


Alors qu’il n’est qu’un enfant, Conrad Gallagher subit les violences des Frères Chrétiens qui se chargent de son éducation au sein des établissements catholiques qu’il fréquente. Après l’avoir passé à tabac, les religieux l’obligent à se tenir debout, sur ses articulations brisées. Les stigmates s’ancrent dans sa mémoire et l’école restera à ses yeux un lieu de torture. 
C’est dans les cuisines qu’il se réfugie. Là-bas, au son des casseroles et des cris de la brigade, il se sent en sécurité. Il prend ses marques et fait ses armes auprès des plus grands. On le retrouve derrière les fourneaux de Laurent Manrique, Daniel Boulud ou Alain Ducasse. Le talent du jeune homme originaire de Letterkenny ne reste pas longtemps inaperçu. Il cuisine pour les plus grands : Bill Clinton, Bruce Willis, Bono, Madonna ou Michael Douglas.

Crédit: TIMES NEWSPAPERS LTD

Puis vient la consécration : à seulement 25 ans, il devient le plus jeune chef étoilé au Guide Michelin de son époque avec le restaurant dublinois Peacock Alley (la place est aujourd’hui occupée par Julia Sedefdjian qui a décroché son étoile à 21 ans). Les célébrités se pressent pour goûter aux mets de l’étoile montante. Conrad ne compte pas ses heures, dédie sa vie à son art et consume son humilité dans les effluves du succès. Chaque ouverture de restaurant est suivie d’une autre dans les mois qui suivent. 

« Il y avait quelques bons restaurants à Dublin. Mais ils étaient confortables comme des vieilles Mercedes. Moi, j’étais la Porsche rutilante, la bouteille de vin la plus chère. »

Dans la capitale irlandaise, on adore détester le chef. Les tabloïds font régulièrement état de ses frasques. 

Grisé comme Icare, le chef ne voit pas la chute se profiler. Pourtant, on commence à sentir le roussi dans les cuisines de Gallagher. Ses affaires ferment les unes après les autres, ses fournisseurs ne sont plus payés, les propriétaires de l’hôtel Fitzwilliam qui héberge le Peacock Alley se sentent floués. La guerre est déclarée. Son restaurant est saisi et les serrures sont changées durant son absence. Humilié, le chef appelle ses équipes pour leur annoncer qu’il est inutile de se présenter pour le service du soir. Idem pour les 150 réservations prévues pour le dîner. 

Comme le sort a toujours tendance à s’acharner, Conrad Gallagher se bat dans le même temps contre un cancer des testicules. Vaincu, le chef dépose les armes et ferme le restaurant dublinois.

Si les succès sont éphémères, les échecs, eux, ont la dent dure. Plutôt que de subir l’opprobre du gotha gastronome dublinois, le chef préfère s’exiler de l’autre côté de l’Atlantique. Mais alors qu’il essaie de reconstruire une carrière, le couperet tombe : l’hôtel Fitzwilliam affirme que les dettes de Gallagher ne sont pas réglées. On l’accuse d’avoir volé trois peintures de Felim Egan d’une valeur de 9 000 £. Gallagher a beau clamer son innocence, la machine judiciaire est lancée. 

Quelques jours après l’accusation, alors qu’il parle avec un officier de la circulation, sept policiers se dirigent vers lui, le plaquent au sol avant de le menotter et de l’enfermer dans un fourgon direction le centre de détention de Brooklyn. 

Là-bas, l’odeur de javel se mêle à celle de la peur. Les prisonniers interpellent le nouveau-venu, les rats se faufilent de cellule en cellule, Gallagher est terrorisé. Il devient le détenu 61685053 de la prison fédérale de Brooklyn.

« J’étais terrifié. Chaque matin, je me demandais ce qui allait se passer dans les douches, si j’allais être tailladé ou agressé d’une manière ou d’une autre ».

Ce que le chef redoute tant finit par arriver. Trois jours après son arrivée, son regard croise celui d’un baron de la drogue. Y voyant là un affront, ce dernier le laisse s’en tirer avec deux côtes fêlées et la lèvre fendue. Gallagher sait le sort réservé aux balances. Alors, il se tait et rampe jusqu’à sa cellule.

Il n’y a pas que les violences physiques qui effraient Conrad : pour un chef, en prison, le supplice passe aussi par l’assiette.

« Je me souviens de ce premier repas. Les boulettes de viande étaient faites de chapelure et de viande recomposée. Je n’ai jamais rien goûté d’aussi dégoûtant de ma vie. C’était comme de la bouffe pour chien. Et après, j’ai vu le cuisinier : cheveux gras et dents pourries. J’ai repoussé mon assiette. En moins de 10 secondes, 10 détenus s’étaient déjà jetés dessus. »

Alors que le chef se demande comment survivre dans cet environnement, on lui annonce qu’il change d’aile. 

Frankie Pero, chef mafieux new-yorkais coupable d’un triple homicide, avait appris dans le Times qu’un cuisinier étoilé fréquentait le même centre de détention que lui. Il avait demandé et obtenu une rencontre avec l’Irlandais.

En prison comme partout, la cuisine rapproche et rassemble. Le mafioso confesse au chef qu’il rêve d’une côtelette de veau aux cèpes et au Madère. Le chef surenchérit avec une piccata accompagnée de macaroni et d’un verre de Chianti. Preuve s’il en fallait une que la nourriture est un langage universel, le chef cuisinier séduit le chef mafieux. Ce dernier demande à ses gars de protéger le dublinois, en échange de quoi Gallagher s’engage à partager son savoir-faire avec la familia. 

Jamais à court de ressource, le jeune chef se tourne vers les détenus juifs et musulmans qui ont le droit à des légumes et des conserves de sauce tomate pour remplacer la viande. Conrad négocie avec eux pour obtenir ces précieuses denrées. Chaque jour, il redouble d’imagination pour cuisiner des ragouts avec ce qu’il trouve :

« J’utilisais une lame de rasoir pour couper des brocolis, de l’ail, des patates, du chou-fleur, des carottes. Parfois, j’arrivais à mettre la main sur des bouillons cubes et d’autres fois, quelqu’un subtilisait pour moi des épices en cuisine. Je passais le plus de temps possible à cuisiner pour tuer le temps. »

Six semaines après ses premiers pas dans la prison fédérale de Brooklyn, le chef est libéré. À l’annonce de son acquittement par le tribunal de Dublin, Gallagher fond en larmes. Il est reconnu innocent. Les menaces incessantes, les rongeurs omniprésents et surtout, la nourriture abjecte, sont maintenant derrière lui. 

Conrad Gallagher confessera ses mésaventures dans son autobiographie « My rollercoaster life ». Si le chef a poursuivi sa carrière de cuisinier sans devenir un affranchi, il confiera avoir longtemps entretenu une correspondance avec Frankie Pero. De son passage en prison, il dira avoir gardé de précieuses recettes italiennes.

Morale de l’histoire ? Apprendre à cuisiner (surtout la piccata) peut sauver des vies.

Crédit couverture : The Sun

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